mercredi 24 mars 2010

Une prière au Saint Pou

le 8 Avril sera El dia internacional del Pueblo Rom y Gitano .
lors de cette journée festive et militante on évoquera certainement les effroyables années où le peuple dit " tsigane " fut victime de la politique d'extermination du III° Reich.
Des historiens ont fait leur travail. ( Henriette Asséo et Denis Pechanski notamment ) mais, même si les choses bougent et que le dernier film de Gatlif donne une visibilité à ce point d'histoire jusque-là plutôt confiné au monde universitaire, il n'en reste pas moins  que le génocide de ce peuple , qu'il faut nommer " Samudaripen " en langue romani , fait l'objet de peu d'écho dans la mémoire collective.



Cette entrée me permet de rendre hommage à ce fanal poético-politique  qu'est Jerzy Ficowski avec ce texte :

UNE PRIERE AU SAINT POU *


C'était au printemps de 1944
pendant l'épouillage du bloc gitan
au camp d'Auschwitz Birkenau

les jupes les châles
se fanaient à l'épouillage
dans le camouflage de leurs couleurs


coquelicots iris bleuets
au cas où un champ
qui n'adviendra jamais


La Gitane dans les douches de birkenau
dépouillée de ses couleurs
tient son poing serré
vêtue
de longs plis d'eau


elle cache dans sa main
un grain de vie
une semence de secours
entre la ligne de vie
et la ligne de cœur
au croisement des chemins
de la chiromancie


elle cache dans son poing
le dernier pou
un pou s'en va toujours
quand arrive la mort
la Gitane chante
aux douches de birkenau


svanta djouv
na dja mandyr


saint pou
ne m'abandonne pas
je ne te laisserai pas partir
toi seul m'es resté
il n'y a pas de dieu en enfer


tes frères abandonnent
nos morts
reste avec moi
sauve-moi
saint pou


le kapo accourut avec sa cravache
tord les doigts
qu'est-ce que tu tiens là voleuse montre
ce brillant
cette pièce cet or

le pou est tombé
l'étoile est tombée


reste une paume vide
un ciel vide
où monte
fumée après fumée
fumée après fumée.

Jerzy Ficowski
( " Tout ce que je ne sais pas " traduit du polonais par Jacques Burko / Buchet-Chastel / collection Poésie, 2005 )

* Les Gitans croient que, mus par l'instinct, les poux abandonnent celui qui va mourir, un peu comme les rats quittent un navire condamné (NdT)

nb : Ce poème a également été publié dans le n° 36 de la revue Diasporiques dans un dossier que Jacques Burko a consacré à la poésie polonaise face au génocide ( source :  Florence Trocmé site Poezibao ).