mardi 6 juillet 2010

Causeur cause


A lire, un article  paru sur le blog de Causeur et qui arrive ici grâce à l'ami Grandchamp (c'est le passage sur les flacons qui a certainement influé pour qu'il m'en parle ). c'est signé Jérôme Leroy.

Vivre plus pour buller plus
Un programme de riches qu'il faut appliquer aux pauvres


“Nous allons vivre de plus en plus longtemps et donc il va falloir travailler plus longtemps: nous en sommes tous d’accord.” Cette déclaration faite par Martine Aubry en juin 2010 semble parée de l’évidence du bon sens. Ce qui donne furieusement envie de la contester. Et les arguments ne manquent pas.


On a beau fumer, boire, se droguer, rouler vite, avoir des pratiques sexuelles à risque, vivre dans un environnement pollué, se nourrir de nourritures trafiquées par l’agro-industrie et boire des vins trop soufrés gorgés de levures exogènes, l’espérance de vie augmente. Bon, ce n’est pas de notre fait puisque nous, nous nous honorons d’une mauvaise réputation due pour l’essentiel à la pratique, parfois simultanée, de plusieurs des vices susnommés.

Il n’en demeure pas moins qu’une petite fille sur deux qui naît ces jours-ci sera centenaire. Pour ceux que ça intéresse, il vaudra donc mieux faire sa connaissance dans vingt-cinq ans que dans soixante-quinze. Que faire de ce temps libéré grâce notamment aux progrès de la médecine ? Fumer encore plus ? Boire de meilleurs flacons ? Multiplier encore les partenaires ? Ecouter des musiques lascives et lire des textes subversifs ? Et cela pendant les dix, vingt, trente ans à venir, une fois libérés de l’aliénation du travail ?

Même Dieu s’est reposé le septième jour

Eh bien, ne rêvez pas !

Un des principaux arguments utilisé par tous les politiques, et pratiquement admis comme allant de soi chez les syndicats est que oui, l’espérance de vie en augmentation justifierait que l’on travaille plus longtemps. Cela a l’air tellement logique, dit comme ça, tellement pétri de bon sens.

Il s’agit pourtant d’une illusion de sagesse, “une sagesse ingénieuse à se tourmenter, habile à se tromper elle-même, qui se corrompt dans le présent, s’égare dans l’avenir…”, aurait dit le Bossuet de l’oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre. Il n’y a, de fait, aucune raison philosophique, théologique, métaphysique à travailler plus longtemps parce qu’on vit plus longtemps. Dieu lui-même Qui dispose pourtant d’une très grande espérance de vie a décidé de limiter Son œuvre à six jours, et le septième, Il se reposa, et il semble bien, étant donné l’état de la planète (carnages, famines, catastrophes écologiques, crises systémiques et récurrentes du capitalisme) qu’Il n’ait pas décidé de reprendre une quelconque activité jusqu’à présent.

L’espérance de vie et son augmentation, sont un don. Un don qui a coûté cher à ceux qui l’ont fait : c’est le don du travail des générations précédentes qui mouraient à la tâche dans les mines et les hauts-fourneaux. Leur travail a permis, comme disait déjà Descartes, “de nous rendre maître et possesseur de la nature”. Et pourquoi de tels sacrifices ? Par pulsion prométhéenne, par désir d’égaler Dieu ? Ou plus simplement pour construire un monde vivable pour vivre plus longtemps, justement ?

La richesse des riches, ce n’est pas l’argent mais le temps

Vouloir nous faire travailler plus parce qu’on vit plus longtemps, c’est donc une injustice et une punition, certainement pas du bon sens.

Injustice : c’est le Travail qui a permis les gains de productivités du Capital (Les Français, en la matière, contrairement aux idées reçues, ont une des meilleures productivités au monde.). Ces gains ont été redistribués de manière complètement marginale depuis la révolution industrielle : on a gagné le droit à quelques heures dans la semaine, quelques semaines dans l’année et quelques années sur une vie. Vouloir revenir en arrière en augmentant la durée du travail pour espérer ralentir la baisse tendancielle du taux de profit du capitalisme, c’est tout simplement comme si on décidait que des septuagénaires devraient monter sur des échafaudages pour terminer une dernière villa de luxe, sachant qu’ensuite, de toute manière, le propriétaire n’aura plus les moyens d’en construire une autre.

Punition : vouloir empêcher que sur des années entières des gens encore en bonne santé puissent profiter d’un temps libéré est en fait un moyen d’empêcher le monde du travail de découvrir ce qui fait la richesse des riches et qui n’est pas l’argent mais le temps.



On se souvient d’un de ces sociologues ou économistes médiatiques qui avait poussé l’indécence jusqu’à dire que du temps libéré pour les cadres, c’était très bien car ils allaient au théâtre et voir des expositions mais que pour les prolos, c’était du temps utilisé à boire, à jouer à des jeux de hasard, à battre leur femme et plus si affinités. Les gens riches, remarquait Fitzgerald, sont vraiment différents. Et on a vu ces dernières années que des gens riches, en France, c’était comme les pauvres, il y en avait de plus en plus. Ils le sont tellement que c’est eux qui vivent dans la société rêvée par Marx (qu’ils ont bien lu en général) : “une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous”, ce qui pourrait être la devise de nombre de country-clubs. La différence, c’est qu’ils ne l’appliquent qu’à eux-mêmes, alors que le communisme enfin réalisé serait un beau country-club planétaire.

Nous n’irons pas ici jusqu’à lancer comme modèle le célèbre slogan situ “Ne travaillez jamais” qui fleurit en mai 68 et qui avait une certaine grandeur mais “Ne travaillez pas trop. Ni trop longtemps”.

Il n’y a aucune raison pour ça, vraiment aucune.