mercredi 31 décembre 2008
En 2009 tout a déjà un (dé)goût de 2008
Aujourd'hui, Ertugrul Yilmaz a été expulsé.
Nous étions une quinzaine de militants du RESF 13 à l'aéroport ce matin dès 6h pour tenter d'empêcher l'expulsion d'Yilmaz. Nous n'avons pas réussi. A aucun moment nous n'avons vu Yilmaz. Nous n'avons pas vu non plus les policiers enregistrer son billet au comptoir. Ils ont dit qu'il était bien prévu sur ce vol. Les passagers ont été informés. La PAF nous a confirmé après le décollage de l'avion qu'Yilmaz était parti.
Je suis très triste et vraiment écoeurée, Yilmaz m'a toujours dit qu'il refuserait l'embarquement, je ne sais pas ce qui s'est passé pour qu'il n'ait pas pu le faire. Il a dû arriver très tôt dans l'avion car on ne l'a vu du tout, on a vu en revanche des policiers en descendre.
Il était prévu qu'il transite par Paris. Il devait prendre le vol de 10h10 arriver à Istanbul à 14h. Nous ne savons pas s'il a pu refuser l'embarquement à ce moment-là. J'ai appelé sa famille à Bordeaux, qui essaie d'envoyer du monde à l'aéroport d'Istanbul où Yilmaz arriverait à 14h.
Il est impossible de le localiser actuellement (il est 14h30 au moment où j'écris). C'est toujours comme ça : la PAF (police de l'air et des frontières) ne répond pas. Sauf parfois aux avocats, ou aux parlementaires. Est-ce normal de ne pas pouvoir savoir où se trouve un homme qu'on expulse ? S'il est parvenu à refuser l'embarquement, il doit être en garde à vue. Je ne sais pas, sa famille ne sait pas où il est en ce moment, on doit attendre. Sa femme ne l'a plus vu depuis des mois, puisqu'il était en prison pour grève de la faim, qui avait été considéré comme un refus d'embarquement.
Depuis le départ de l'aéroport je suis effondrée, en larmes. Je tremble, je suis prise de spasmes, je n'arrive pas à me calmer. Je culpabilise, je me dis que j'aurais dû faire plus pour lui. Je ne comprends pas ce qui se passe. Il a vécu tellement de drames déjà. Sa femme a été violée, a dû fuir la Turquie, sa demande d'asile a été rejetée (alors que des membres de sa famille à Bordeaux ont l'asile politique), il a dû vivre caché, il a fait des grèves de la faim, il a fait deux mois de prison pour ça, il a été isolé et transféré de Bordeaux à Marseille pour être privé de ses soutiens et de sa famille, et ce matin il a encore subi cette violence de l'expulsion. Mais pourquoi a-t-il subi tout ça ? Pour satisfaire des quotas ?
Je lui ai souvent rendu visite au centre de rétention, presque tous les jours depuis son arrivée à Marseille le 19 décembre. C'est un garçon très courageux, très gentil, toujours souriant. Il ne parlait pas très bien français, mais on communiquait quand même, il me disait qu'il en avait marre d'avoir toujours des problèmes, de ne pas être libre. Il ne comprenait pas pourquoi sa vie était gâchée pour des papiers. Il disait qu'il n'était ni voleur ni méchant. Qu'il voulait juste vivre avec sa femme, sa famille, continuer son métier de carreleur. On rigolait beaucoup aussi, pour des choses idiotes. Un jour il m'a raconté comment c'était la prison de Gradignan, comment en rentrant des douches il avait découvert son compagnon de cellule pendu. Il avait besoin de parler. Il est doux, un peu espiègle, assez grand, mince, il a des yeux verts.
Vous pouvez être fiers de vous, messieurs les préfets, messieurs les policiers. Vous avez brisé un homme et sa famille. C'est ce que m'a dit ce matin un agent de la PAF : il est fier de ce qu'il fait, de porter son uniforme, il a choisi de faire ça. Vous pouvez être fiers, messieurs les députés qui ont voté les lois qui permettent ça. Vous aussi, messieurs et mesdames du gouvernement, le chiffre des expulsions est monté aujourd'hui.
Moi je suis effrayée, consternée, triste, horrifiée.
Olivia Lemoine, professeur à Marseille
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