dimanche 3 janvier 2010

Pour qu'il sourit, para siempre



" Dans un champs, la montre du tableau de bord reste bloquée à 13h55 ".
ces mots, à la page 753 de la bio d' Olivier Todd consacrée à Albert Camus, sont un peu détrempés dans l'exemplaire que je possède.
si quelqu'un lèche la page il y trouvera un goût de sel.
pas celui des "Noces" ou de "l'été", mais le lacrymal, oui.
j'ai donc un rapport romantique, charnel, puissant et passionné avec l'écrivain , l'homme révolté, le journaliste de "Combat", l'algérois de Belcourt, le prix nobel, l'ami de Char, le soutien indéfectible de l'Espagne de la libre pensée, l'auteur de certaines des plus belles pages de la littérature du XX° siècle. n'en déplaise aux contempteurs.
il fut de bon ton de lui passer le couteau du fiel ou de l'indifférence sous la gorge ( un auteur pour classes de terminales...ouais...et alors ? dévorer Stevenson quand on a dix ans n'est-ce pas fondamental ? et Marx, il faut le lire à quel âge ? si c'est pour le comprendre à 80 piges, on voit le parcours ).


aujourd'hui, on se complait à l'encenser. surtout dans le camp vers lequel, s'il vivait, il n' aurait que son mépris à retourner.
Jeanyves Guérin, qui a dirigé l'excellent dictionnaire Albert Camus ( collection "Bouquins" chez Laffont ),  n'en pense pas moins :
« Celle de Camus ( nb : il parle de récupération ) par Sarkozy est idiote et scandaleuse. La politique sarkozyste est anticamusienne au possible. Camus, qui n'a jamais appelé à voter que pour Mendès France, n'aimait pas fréquenter les hommes politiques, ... "Combat" ne leur a jamais donné une tribune, et lui-même a refusé de déjeuner à l'Elysée avec de Gaulle.»

car le pouvoir voudrait le panthéoniser.
c'est à dire le tuer une seconde fois. ou le replonger dans l'oubli , le dédain, l'ostracisme dont il fut victime après son prix et ensuite, après 68, quand même Bourdieu, mon cher Bourdieu, s'en prit à la figure de celui dont il aurait dû percevoir cet élan qui jamais ne le fit passer du côté des héritiers, puisque non issu de cette souche (bien au contraire, allez trouver un personnage public plus prolétaire de par ses origines ! ) mais qui non plus au cours de sa vie n'adopta ou ne copia leurs manières.




des erreurs ?...ben , évidemment ( on ne va pas lister ses clairvoyances, aujourd'hui il y a pléthore de distribution de bon points par la clique à claques ).
pas à foison, mais tout de même.
son passage " à côté " de cet "inconscient colonial" ( E. Saïd ) qui nimbait sa manière de ne pas parler vraiment de l'aspiration des peuples à disposer d'eux-mêmes, par exemple. pourquoi le planquer ?
il n' y aucune raison et , a contrario , il faut s'en emparer pour mieux cerner les positions intellectuelles de tout un chacun de cette époque pour mieux éprouver les nôtres aujourd'hui.

alors , ce panhéon ?
"laissons-le à Lourmarin", a-t-on dit avec justesse ( certains pensent différemment, pour de bonnes raisons et eux, je les respecte, mais ma raison , ici , ne commande rien, je lui désobéis. ).
mais oui, nom de dieu ! laissons ses os tranquiles. dans un silence et une nature qui n'appartiennent à personne.
Camus le maritime, l'amoureux des épines dans ce sépulcre minéral ? quelle horreur.



et puis soyons réalistes , qui a écrit ceci :

"chaque fois que j'entends un discours politique ou que je lis ceux qui nous dirigent, je suis effrayé depuis des années de n'entendre rien qui rende un son humain. ce sont toujours les mêmes mots qui disent les mêmes mensonges."

qui , alors ?
Camus ?
oui, Camus qu'on entendra loué si jamais le président de ce gouvernement dont un ministère s'intitule " de l'immigration et de l'identité nationale " s'obstine à nous faire croire qu'il s'est converti à ce un trait remarquable de l'écrivain  : le "non-conformisme"  ...


alors, pro-Camus après que d'être anti-sarkosyste primaire ?
peut-être.
mais en s'appuyant sur ce que fut l'homme de lettres et l'homme tout court.
car demain : socialiste libertaire , le pote à Arnaud, Bouygues, Bolloré et consorts ?
allons, un peu de sérieux.
pense-t-on que l'auteur de "l'homme révolté" puisse être porté aux nues par celui qui a dit à Dakar que certains n'étaient pas encore entrés dans l'histoire ?
qui peut s'imaginer, sans éclater de rire ou de larmes, Guaino préparant une bafouille, le stylo entre les dents, pour honorer celui qui disait des semblables de cette bête de somme du pouvoir qu'ils sont " des hommes sans idéal et sans grandeur " ?
etcetera, etcetera...  ( et pourtant le Mimi , il m'exaspère ).



Catherine Camus prendra, paraît-il, sa décision demain d'apporter ou non son soutien à l'initiative élyséenne. son frère jumeau, Jean, a déjà répondu par la négative.
chère Catherine, bon sang ne saurait mentir.
vous avez dit il y a quelque temps préférer "ramasser des olives" plutôt que d'entrer en polémique. quelle magnifique réponse.
restez-en là. dans le doute, l'écrivain-philosophe, votre père avant toute chose,  aura toujours préféré s'abstenir que d'asséner. pensez-y.
alors, de Lourmarin à Tiphasa, tous les oliviers ploieront pour vous rendre grâce.
et Albert , para siempre , sourira, soyez-en sûre.

1 commentaire:

el chulo a dit…

Ami ludo,

merci pour ce si beau texte.
Avec le recul de l'age, malheureusement, je suis de plus en plus hostile à l'analyse « politique » d'un artiste génial.
Je vois Camus comme un humaniste mais plus encore, ce qui me semble inestimable et si rare, un humain.
C'est cette sève d'humain, moins torrentielle mais tout aussi prégnante que celle de Steinbeck, lorsqu'il est génial, qui m'intéresse.
Et la brûlure douce de cette écriture qui se serait mariée à l'eau de la mer, le feu du soleil, les fragrances de l'enfance et à ces naufrages crépusculaires quotidiens qui engendrent des aubes incertaines.